Motivation
Les 6 marathons World Major - Entretien avec Haroon Mota
Haroon Mota, marathonien et alpiniste, est le fondateur de Muslim Hikers et d'Active Inclusion Network, deux organisations qui défendent la diversité dans le sport et les activités de plein air en promouvant l'inclusion des communautés sud-asiatiques, principalement au Royaume-Uni, où il vit. Nous l'avons rencontré pour lui parler de son expérience des 6 grands marathons mondiaux collectivement baptisés les World Majors.
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Qu'est-ce qui vous a poussé à courir ?
J'ai commencé à courir il y a un peu plus de dix ans. C'est à cette époque que je me suis inscrit pour la première fois au marathon de Londres dans le cadre d'un défi caritatif. Avant cela, je n'avais aucune expérience de la course à pied. Je pratiquais les arts martiaux, le kickboxing, et je faisais beaucoup de randonnée, principalement dans le but de collecter des fonds pour des organismes caritatifs. Cela m'a mené au camp de base de l'Everest, au Kilimandjaro et au Pérou, et m'a permis de collecter des sommes considérables pour des bonnes causes. De là, j'ai eu envie de courir un autre marathon pour une organisation caritative.
Je me suis inscrit à une course pour une association qui s'appelle Teenage Cancer Trust. C'était censé être une expérience de course unique, mais ça s'est avéré être l'expérience la plus horriblement douloureuse qu'il m'ait été donné de vivre. J'étais en forme à l'époque, mais j'ai dû sous-estimer les exigences requises pour courir confortablement sur 42 km, et je ne pense pas m'être suffisamment entraîné.
Avant même de franchir la ligne d'arrivée, je me suis dit que je ne recommencerais plus jamais. Au cours des 13 derniers kilomètres, ma jambe était pleine de crampes ; je m'en souviens à peine tellement c'était horrible.
L'année suivante, j'ai perdu mon père dans un accident de voiture - ma vie en a été bouleversée. J'ai recommencé à courir pour surmonter mon chagrin, pour essayer d'assimiler mes pensées et mes émotions, et pour essayer d'y voir plus clair. J'ai décidé de courir pour de bonnes causes en mémoire de mon père. J'ai fini par courir de nombreux semi-marathons et l'année suivante, j'ai eu l'occasion de participer au marathon de Londres.
C'est d'ailleurs celui que j'ai eu l'occasion de courir en 2015 qui m'a fait tomber amoureux. Le reste fait désormais partie de l'histoire puisque j'ai dû courir à peu près 9 marathons au cours des 10-11 dernières années.ㅤ
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Comment avez-vous pris connaissance de l'existence des 6 World Majors ?
Ce n'est qu'en 2019, lors de mon premier marathon de Berlin, que j'ai pris connaissance des World Majors, et je pense que c'est à ce moment-là que je me suis lancé le défi de tenter l'expérience.
Quand j'ai commencé à courir il y a toutes ces années, j'ai été très étonné du peu de personnes de couleur qui participaient aux courses. Je suis musulman britannique d'origine asiatique, et la communauté est très importante. Je vis dans une ville très cosmopolite, ici à Coventry. Même lorsque je participais à ma course locale à Coventry, j'étais étonné de ne pas voir la diversité présente dans la ville reflétée dans les courses.
Au fil des années, par l'intermédiaire de mes associations caritatives, j'ai essayé d'encourager d'autres membres de la communauté à courir. Je courais souvent avec de grands groupes de personnes. La défense de la diversité et de l'inclusion était l'une de mes priorités.
Lorsque je me suis fixé l'objectif de courir un marathon mondial, je savais que très peu de personnes partageaient cette ambition, et je me suis dit que j'inspirerais peut-être d'autres membres de ma communauté à faire de même et à inspirer d'autres gens à leur tour.
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Quand les avez-vous tous courus ?
J'ai participé au marathon de Berlin pour la première fois en 2019. Berlin est considéré comme un parcours plutôt plat, peut-être l'un des marathons les plus faciles de la série. Après Berlin, j'ai réussi à m'assurer une entrée à Chicago et New York en 2020.
Mon objectif pour 2020 était de faire Chicago, New York et Londres en l'espace d'un mois. Mais la pandémie a frappé et tous ces marathons ont été annulés ; d'abord Londres en avril, puis Berlin. J'ai continué à m'entraîner malgré tout dans l'espoir de pouvoir courir Chicago, peut-être New York. Malheureusement, ils ont été annulés également.
C'est difficile lorsqu'on s'est fixé des objectifs, que l'on s'est engagé physiquement et émotionnellement à les atteindre, que l'on garde un peu d'espoir même face aux obstacles et que l'on voit cet espoir s'envoler.
En 2021, les États-Unis n'avaient toujours pas levé les restrictions sur les voyages. Pour m'occuper l'esprit et ne pas perdre mes objectifs de vue, j'ai fait de noubreuses demandes d'autorisation de voyage à l'ambassade, mais j'ai dû me contenter de courir les marathons de Londres et de Berlin, puis des courses de substitution comme Manchester et Istanbul pour remplacer Chicago et New York.
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Comment avez-vous réussi à courir les 6 courses malgré toutes ces difficultés ?
L'année dernière, en 2022, j'étais encore sur 2 étoiles, n'ayant couru que Londres (plusieurs fois) et Berlin deux fois. Mais Chicago a fini par arriver, et ça a été une période forte en émotions pour moi. C'était la première fois que je visitais les États-Unis, et j'avais désormais devant moi la perspective de m'y rendre deux fois en l'espace de 5 semaines grâce aux marathons de Chicago et de New York.
Cependant, en tant que musulman britannique, j'ai parfois eu du mal à entrer sur le territoire américain. On entend des histoires de personnes qui s'y rendent et se voient refuser l'entrée. Dans mon cas, on m'a refusé l'enregistrement a l'aéroport d'Heathrow. Les propos exacts étaient : « désolé, vous allez devoir attendre que quelqu'un vienne vous parler, c'est la procédure standard ». A la suite de quoi on m'a interrogé pendant une heure. Mon cœur commençait déjà à s'emballer ; après toute la préparation que j'avais faite, et ayant déjà vu mon entrée annulée en 2020 et en 2021, je commençais à croire que le cauchemar allait recommencer... Mais les agents frontaliers ont fini par me rendre mon passeport, et c'est à ce moment que je me suis dit : « Chicago, me voilà ! ». Malheureusement, l'interrogatoire a recommencé une fois arrivé à l'aéroport de Chicago, et je me suis sérieusement demandé s'ils allaient me renvoyer chez moi. Heureusement non, puisque je partage aujourd'hui avec vous mon expérience du marathon.
Je me souviens encore très bien du marathon de Chicago parce que le départ s'est fait tôt le matin, à 7h30. Il faisait beau et froid, environ 5-6 degrés, ce qui n'était pas pour me déplaire. La semaine précédente, j'avais couru à Londres où il avait fait chaud et j'avais eu une très mauvaise crampe. Pour être honnête, je ne suis pas un grand fan de la chaleur. Mais globalement, j'ai beaucoup aimé le marathon de Chicago.
Pour ce qui est du marathon de New York, j'avais des amis à Chicago qui m'avaient dit que New York était une course difficile à cause des ponts et des collines. En tant que randonneur chevronné, les collines ne me faisaient pas peur. Mais le jour de la course, il a fait 23 degrés, ce qui est anormalement chaud pour New York. Il aurait dû faire un temps d'automne... J'ai moins apprécié mon expérience à New York à cause de la chaleur.
Autrement, la foule et l'énergie ne m'ont pas déçu. Londres est déjà reconnue pour ça, mais on m'avait dit que New York le serait aussi. Je me souviens encore à quel point la foule était formidable aux alentours du 28ᵉ kilomètre. Bref, New York n'a donc pas tout à fait été la course que j'avais envisagée, mais c'est celle que j'aimerais refaire. Avec toutes les rumeurs qui circulaient à l'époque concernant l'ajout d'un 7ᵉ marathon à la série des World Majors, je ne voulais pas rater l'occasion de terminer avec 6 étoiles, en cochant aussi rapidement que possible New York et Chicago.
Le marathon de Boston 2023 ne fut pas sans difficultés non plus... Le Ramadan tombait entre fin mars et début avril cette année-là, ce qui coïncidait avec la période de préparation en vue du marathon et le jour de la compétition lui-même. Ça n'a pas été facile de courir en plein mois de jeûne, mais je tenais malgré tout à m'inscrire à cette course.
Le marathon de Londres est celui qui présente le moins d'obstacles - j'y ai une place réservée pour le reste de ma vie. Comme je travaille dans le domaine de l'inclusion et que je suis lauréat du Spirit of Marathon Award pour mes contributions à la collecte de fonds, je n'ai jamais à demander une entrée pour ce Major. J'ai donc une relation très spéciale avec ce marathon anglais.
On me dit souvent que je donne l'impression que tout cela est facile à gérer, mais la réalité est que de concilier toutes ces courses et ces voyages à travers le monde avec la vie de famille est très difficile. Ma femme m'apporte énormément de soutien.
Malgré l'excitation que je ressentais à l'idée de me rapprocher de mon objectif de courir les 5ᵉ et 6ᵉ Majors en 2023, c'était aussi pour moi une source d'anxiété, car je craignais de me blesser et j'étais préoccupé par tous les obstacles que j'avais rencontrés jusqu'à présent.
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Parlez-nous de votre 6ᵉ étoile à Boston.
Obtenir ma 6ᵉ étoile à Boston revêtait pour moi une importance symbolique parce que c'était le 10ᵉ anniversaire des attentats de Boston, et que j'ai à cœur de montrer la façon dont les musulmans contribuent positivement à la société. C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de courir ma dernière course pour une bonne cause. Je suis l'ambassadeur d'une organisation caritative appelée Charity Right qui fournit des repas scolaires aux enfants dans le besoin dans le monde entier.
L'entraînement a été difficile parce que je me privais de nourriture et de boissons pendant le Ramadan, mais ce marathon était important pour moi. J'ai donc lu beaucoup d'articles et j'ai demandé des conseils parce que le parcours de Boston est vallonné et que je voulais bien faire.
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Quand je suis arrivé à Boston, je me souviens que toute la ville vibrait au rythme du marathon. Que ce soit autour de l'EXPO ou en plein centre-ville, tout le monde portait la veste du marathon de Boston. J'ai commencé à porter ma veste partout. Quand je me prépare à courir un marathon, je ne fais pas trop de tourisme, j'essaie de me détendre, de rester raisonnable et de me concentrer sur la course en espérant que mes prières soient exaucées.
Le jour du marathon mondial, j'ai pu accrocher sur mon dos un badge spécial que les organisateurs m'avaient donné, indiquant : « Je cours pour ma 6ᵉ étoile ». C'est un sentiment incroyable qu'autant de coureurs viennent vers vous pour vous souhaiter « bonne chance pour votre 6ᵉ étoile », mais j'ai été encore plus surpris qu'autant de gens aient entendu parler de mon histoire via les réseaux sociaux. J'étais à Boston pour courir un marathon mondial, et des gens des quatres coins du monde m'approchaient pour me dire : « Bonjour Haroon, nous te suivons sur Instagram. Nous avons vu ton histoire et entendu ton podcast ». C'était incroyable et tout s'est enchaîné jusqu'à l'apothéose. J'étais ému en repensant au début de mon parcours de coureur, à la perte de mon père, aux obstacles que j'ai dû affronter et au fait d'être là, à Boston, sans ma famille pendant le mois de Ramadan et d'obtenir les six étoiles, ce que peu de musulmans ont accompli.
J'étais aux anges, euphorique. Il y a même une photo de moi où j'ai les larmes aux yeux. C'était très émouvant, et j'ai pu récolter plus de 23 000 € pour une œuvre caritative. Tout s'est parfaitement déroulé, mais ce fut l'un des marathons les plus difficiles que j'aie eu à courir. Je ne pense pas que je m'en sois vraiment rendu compte à ce moment-là. Je courais le marathon de Londres cinq jours après, le lendemain des célébrations de l'Aïd.
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Quel a été votre marathon préféré ?
Tokyo. J'étais enthousiaste à l'idée de courir dans un pays d'Extrême-Orient et sur un parcours plat. Mon objectif était de me rendre à Tokyo et d’établir un record personnel. Je me souviens encore de l'atmosphère ; la culture est si différente là-bas, et les bénévoles étaient là pour nous encourager. J'étais concentré mentalement, j'ai pris du plaisir et j'ai battu mon record ! Pour moi, c'était un événement spécial qui m'a rapproché du marathon de Boston.
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Quel est votre prochain projet ?
Même après le marathon de Londres, je portais fièrement ma médaille à 6 étoiles. J'en suis très fier, mais je prends maintenant du recul et je me concentre plutôt sur des courses plus courtes, des marathons de trail et des ultramarathons. Je sais aussi que les 7ᵉ et 8ᵉ étoiles, à Cape Town et Sidney, seront annoncées vers 2025, et j'aimerais bien être l'une des premières personnes à terminer ces marathons.
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Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui n'a que peu d'informations sur les World Majors ?
Je n'ai obtenu d'inscription spéciale que pour Tokyo et Boston. Pour les autres, je me suis débrouillé tout seul. Pour Londres, la plupart des gens savent qu'il faut participer au tirage au sort ou courir pour une association caritative. J'ai eu la chance d'être tiré au sort pour le marathon de Berlin. Mon conseil pour cette course serait de s'inscrire au tirage au sort ou de chercher des organisations caritatives qui offrent des places et des tour-opérateurs parce que c'est assez facile d'accès. Pour Chicago, j'ai eu de la chance lors du tirage au sort, mais il est parfois possible d'être admis via des organisations caritatives qui proposent des places par l'intermédiaire d'un tour-opérateur. C'est parfois coûteux, et si votre budget est serré, vous pouvez vous tourner vers des associations caritatives qui offrent des places pour Chicago et New York. Vous devrez soulever pas mal de fonds, mais si c'est la course que vous voulez courir et que vous n'êtes pas assez rapide pour vous qualifier, ce sont des voies que j'ai déjà explorées par le passé. ㅤ
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Remerciements
Merci d'avoir pris le temps de répondre à toutes nos questions, Haroon. SportsShoes se réjouit de votre réussite sportive et sociale avec Active Inclusion Network.
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